Les fictions romanesques de Jean-Baptiste Andrea

 

Jean-Baptiste ANDREA, auteur de quatre fictions romanesques récompensées par des prix littéraires prestigieux dont le Prix Goncourt s’impose comme une figure majeure de la littérature française contemporaine, après un parcours remarqué dans le cinéma. Son œuvre, couronnée par les plus grandes reconnaissances littéraires, séduit par la profondeur de ses thèmes, la richesse de ses personnages et la qualité de son écriture.

Jean-Baptiste Andrea applique une poétique de la fluidité et la poésie de son écriture dresse des portraits empathiques de personnages blessés, en quête de rédemption. Il revendique un goût pour le romanesque, inspiré Alexandre Dumas. Jean-Baptiste ANDREA défend également l’idée qu’un roman peut être à la fois populaire et profond, tout en restant accessible à plusieurs générations de lecteurs.

Pour bien cerner qui est cet écrivain du XXIe siècle, dans un premier temps, j’aborde une présentation de l’homme de lettres, pour souligner combien Jean-Baptiste Andrea incarne aujourd’hui une figure majeure de la littérature française contemporaine, saluée pour la puissance inventive et la profondeur humaine de son œuvre littéraire.

Dans un deuxième temps, je présente ses trois premiers romans, Ma Reine, publié en 2017, Cent millions d’années et un jour, publié 2019 et Des Diables et des Saints, publié en 2021.

Enfin, et dans un troisième moment, j’évoque son roman, Veiller sur elle, publié en 2023, Prix Goncourt et prix du roman FNAC. 

  1. Biographie de Jean-Baptiste ANDREA : Qui est-il ?

Jean-Baptiste Andrea est né le 4 avril 1971 à Saint-Germain-en-Laye. Il possède des origines italiennes par sa mère, mais aussi des origines grecques, des origines baléares et des origines pied-noir d’Algérie. Il grandit à Cannes, où il fréquente l’Institut Stanislas, un établissement privé et catholique : c’est là qu’il découvre le théâtre et l’écriture.

Après son baccalauréat, Jean-Baptiste Andrea poursuit son cursus supérieur à l’Institut d’études politiques de Paris, Sciences Politiques, où il obtient un master en communication et ressources humaines en 1993, puis à l’ESCP (École Supérieure de Commerce de Paris, fondée en 1819, considérée comme la doyenne mondiale des écoles de commerce et de gestion), dont il sort diplômé en 1996.

Avant de se consacrer à la littérature, Jean-Baptiste Andrea fait carrière dans le cinéma, en France et aux États-Unis, pendant près de vingt ans. Il écrit et réalise ses premiers films en anglais et s’ouvre ainsi à une audience internationale. Parmi ses œuvres cinématographiques notables, nous retenons d’évoquer Dead End (2003), co-réalisée avec Fabrice Canepa. Ce film fantastique, composé en anglais, remporte plusieurs prix et devient un film culte dans le genre. Big Nothing (2006) développe une comédie noire en anglais, avec David Schwimmer et Simon Pegg. Hellphone (2007) est film fantastique français, co-écrit avec James Huth, avec Jean-Baptiste Maunier. La Confrérie des larmes (2013) présente un thriller avec Jérémie Renier et Audrey Fleurot, dont il signe le scénario et la réalisation. King (2022) est un film d’aventures pour lequel Andrea écrit le scénario.

Après cette carrière dans le cinéma, Jean-Baptiste Andrea se lance dans la littérature à l’âge de 46 ans, en 2017. Tous ses romans sont publiés aux éditions de l’Iconoclaste, maison d’édition dont la fondatrice, Sophie de Sivry, joue un rôle déterminant dans sa carrière, car elle accepte son premier manuscrit, premier manuscrit rejeté par de nombreuses maisons d’édition et donc par plusieurs refus.

ANDREA attribue donc une importance décisive à la figure éditoriale de Sophie de Sivry dans sa carrière littéraire, car Sophie de Sivry a cru en son talent dès le premier manuscrit réceptionné. Andrea puise aussi dans ses racines franco-italiennes, et son amour de la sculpture pour nourrir ses œuvres.

Il importe de mentionner combien la carrière de scénariste de Jean-Baptiste Andrea a influencé son style littéraire, donc son écriture romanesque. Soulignons-le, l’écriture cinématographique apporte plusieurs caractéristiques distinctives à l’écriture littéraire.

D’abord, nous retenons un double sens poétique, celui du rythme et de la structure narrative. Effectivement, le travail de scénariste impose une grande rigueur dans la construction de l’intrigue, l’organisation des scènes et la gestion du suspense. Cette discipline se retrouve dans les romans d’ANDREA, qui exploitent une narration très structurée, avec une progression dramatique efficace qui enrôle le lecteur et génère une attention particulière portée systématiquement à la tension narrative.

Ensuite, nous devons souligner une Écriture littéraire visuelle et évocatrice.L’expérience du scénario, qui consiste à « écrire en images », se traduit dans les livres de Jean-Baptiste ANDREA par une écriture très visuelle, très scénique, très descriptive : les descriptions littéraires sont donc précises, les ambiances sont soigneusement plantées, et chaque scène romanesque est pensée comme un tableau vivant. Andrea sait transformer le langage littéraire en images mentales fortes, ce qui permet au lecteur de « voir » l’histoire se dérouler lors de sa découverte du texte littéraire.

Puis, nous signalons aussi une grande Maîtrise des dialogues des personnages mis en scène. Rappelons-le, le scénariste accorde une importance capitale aux dialogues, qui doivent être naturels, percutants et révélateurs de la personnalité des personnages. Cette compétence dialogique transparaît dans les romans d’Andrea, où les échanges verbaux entre personnages sont vivants et contribuent à la caractérisation des protagonistes et à l’avancée de l’intrigue romanesque.

Andrea excelle dans la création de personnages marquants.

Comme la scénarisation exige de concevoir des personnages crédibles, attachants ou singuliers, capables de porter une histoire à l’écran, Andrea transpose cette exigence dans ses romans, où il réussit à créer des figures romanesques complexes, souvent blessées, et qu’il parvient à faire évoluer dans des situations inédites.

Son œuvre littéraire est marquée par l’efficacité et de la concision poétiques. Le scénario requiert une économie de moyens : chaque scène, chaque réplique doit servir l’intrigue ou révéler un aspect du personnage. Cette efficacité se retrouve dans le style littéraire d’Andrea, qui évite les digressions inutiles et privilégie l’essentiel pour toujours maintenir l’attention du lecteur.

ANDREA EXPLORE l’influence de la dramaturgie cinématographique au service de la littérature. La dramaturgie propre au cinéma qui montre une alternance de scènes, la gestion du hors-champ et la construction du suspense irrigue l’écriture d’Andrea, qui joue avec les attentes du lecteur et ménage des effets de surprise ou d’émotion, à la manière dont les films transportent les spectateurs.

En définitive, disons-le, la carrière de scénariste de Jean-Baptiste Andrea a façonné son écriture romanesque, très visuelle, rythmée, structurée et portée par des dialogues percutants avec des personnages forts ; tout cela confère à ses romans une dimension cinématographique singulière. MAIS pas seulement…

ANDREA mentionne aussi des influences littéraires.  Ainsi Jean-Baptiste Andrea revendique une influence directe des Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas sur son œuvre, notamment ce goût commun pour le romanesque et la construction de récits épiques et foisonnants. Comme Alexandre Dumas, Jean-Baptiste ANDREA cherche à mêler l’aventure, l’émotion et des personnages marquants dans des histoires où l’action et les rebondissements tiennent une place centrale.

L’influence de Dumas se manifeste aussi dans la manière dont ANDREA structure et organise ses romans : il privilégie des intrigues dynamiques, des dialogues vivants et une galerie de personnages attachants et typés, à l’image des mousquetaires. Cette approche donne à ses récits une dimension populaire, dimension très accessible, mais conserve aussi une profondeur thématique, notamment autour de la loyauté, de l’honneur, de l’amitié et de la quête de soi, ces valeurs emblématiques que l’on retrouve dans le roman de Dumas.

Enfin, comme Dumas, Andrea n’hésite pas à puiser dans différents genres littéraires, le roman d’apprentissage, le roman d’aventure, le drame, le roman réaliste, voire historique, pour enrichir ses histoires et leur donner une portée universelle. Cette filiation assumée avec Les Trois Mousquetaires donne à son œuvre une vitalité narrative et un souffle romanesque qui rappellent l’esprit du grand roman populaire du XIXe siècle.

Jean-Baptiste Andrea est donc un auteur actuel reconnu qui a écrit quatre romans.  Quelles sont ces trois premiers œuvres publiés de 2017 à 2021 ? Que nous racontent-elles ? Comment ?

II) DEUXIEME PARTIE : SES TROIS PREMIERS ROMANS, MA REINE, 2017, CENT MILLIONS D’ANNEES ET UN JOUR, 2019, DES DIABLES ET DES SAINTS, 2021.

2017

Ma reine

Prix Femina des lycéens, Prix du premier roman, Prix Alain-Fournier, Prix « Envoyé par La Poste »

Ma reine a reçu de nombreux prix, dont le prix Femina des lycéens et le prix du premier roman, ce qui consacre ce premier livre comme une œuvre majeure sur la différence et l’enfance. Ma reine est un roman d’apprentissage tendre et bouleversant, qui explore la différence, l’amitié et l’imaginaire à travers le regard d’un enfant singulier, dans une langue poétique et lumineuse. Ma reine met en scène Shell, un jeune garçon « différent » qui vit avec ses parents dans une station-service isolée de Provence, à la fin des années 1960.

Menacé d’être placé dans un institut spécialisé, Shell décide de prouver qu’il est capable de se débrouiller seul et part, comme il dit, « à la guerre ». Cela signifie qu’il fugue et abandonne le foyer familial de la station essence pour se réfugier en pleine nature. La guerre devient ainsi une métaphore du combat intime que mène l’enfant contre l’incompréhension des autres, l’exclusion généralisée et la peur de la différence.

Cette métaphore permet à l’auteur d’aborder, à hauteur d’enfant, des thèmes universels comme la solitude, le désir de reconnaissance et la construction de soi. Le vocabulaire et l’imaginaire guerriers servent à donner de l’ampleur à la quête du jeune garçon, Shell, tout en soulignant la candeur et la poésie de son regard sur le monde. La «guerre » de Shell est donc un récit d’émancipation et de résistance, où l’affrontement se joue moins contre des ennemis réels que contre les limites imposées par la société et le regard des autres.

Mais, au grand étonnement de Shell et pour son plein bonheur, sur le plateau qui surplombe la vallée, il ne trouve ni conflit ni adversaire ; là il découvre le silence, la nature, et surtout Shell rencontre une mystérieuse fillette, Viviane, prénommée comme la fée du Lac, de la célèbre légende du roi Arthur. La Viviane de Shell devient sa « reine ». Avec elle, tout s’invente et l’impossible devient vrai : Shell se laisse entraîner dans un jeu d’absolu, d’amour et de dévouement, où la frontière entre rêve et réalité demeure floue.

Vous l’avez compris, cette mystérieuse fillette ne se retrouve pas par hasard sur les plateaux de Provence. Shell idéalise sa jeune amie et ira de découvertes en découvertes que je vous laisse le bonheur de lire.

Ma reine est effectivement un conte initiatique et poétique, une ode à la différence, à la liberté et à l’imaginaire. L’écriture de Jean-Baptiste Andrea s’y distingue par sa douceur, sa simplicité et sa poésie, car il nous évite le pathos, car il peint avec tendresse, la vulnérabilité et la candeur de son jeune héros. Le roman adopte le point de vue interne de Shell, cet enfant probablement autiste ; le point de vue interne renforce l’immersion des lecteurs et lectrices dans l’univers intime du jeune garçon, un univers conçu de naïveté, d’émotions brutes et de confusion troublante face au monde des adultes.

Extrait marquant : « Quand je me suis rassis, elle a fermé les yeux. Elle était tellement belle que j’avais envie de me glisser dans sa peau et de devenir elle pour savoir ce que c’était. Puis j’ai pensé que je ne pourrais plus la voir si j’étais dans sa peau, sauf dans un miroir, et que ce serait peut- être mieux si c’était elle qui se glissait dans ma peau à moi. Je ne pourrais pas la voir non plus mais au moins, je pourrais l’emmener partout.

Ses lèvres bougeaient et je lui ai demandé ce qu’elle faisait. Elle priait, elle a répondu. J’ai voulu qu’elle me montre. Je savais prier à l’église évidemment – Notre Père faites que Macret meure dans d’horribles souffrances – mais là c’était différent.

– D’abord, elle a expliqué, tu dis merci pour quelque chose qui te plaît. Facile. J’ai fermé les yeux, j’ai bougé les lèvres et j’ai remercié pour Viviane.

– Ensuite, tu dis pardon pour quelque chose que tu as fait. J’ai encore bougé les lèvres mais ce coup-ci, j’ai fait semblant parce que j’avais beau chercher, je n’avais rien fait. Pas récemment en tout cas.

– Ensuite, tu demandes protection contre tes ennemis. Je l’ai regardée avec curiosité, elle l’a senti, elle a dit « Quoi ? » et j’ai répondu qu’elle ne pouvait pas avoir d’ennemis, pas elle. Son visage est devenu très sérieux.

– Bien sûr que si. Une reine a toujours des ennemis.

– C’est qui ton pire ennemi ?

– Un dragon. Je lui ai demandé de le décrire. Est-ce qu’il crachait du feu ?

– Pas du feu, non. Il crache un nuage de glace qui paralyse ses victimes. Il est immense, noir, avec des écailles et des grandes ailes en polystyrène. Mais le plus dangereux c’est qu’il peut prendre n’importe quelle forme, même d’un homme, et que tu ne sais pas qu’il est là jusqu’au dernier moment. Je lui ai promis de la protéger et elle a souri, je ne sais pas si c’était pour me remercier ou parce qu’elle savait aussi bien que moi que je ne ferais pas le poids face à son dragon. »

Puisque cette histoire se déroule dans une Provence sensorielle et évocatrice, un peu comme dans les romans de Giono, Un de Beaumugnes ou Colline ou Regain, célèbre trilogie de Pan, la nature devient le théâtre d’une aventure intérieure, entre réalisme et onirisme. Andrea sublime dans ce roman, Ma Reine, la violence et la difficulté de la différence, car il privilégie la suggestion d’une perception tronquée, celle de Shell, à une description crue, exhaustive et réaliste, et il propose un récit lumineux, apaisant, parfois poignant, salué pour son originalité et sa profondeur.

2019

Cent millions d’années et un jour

Multiprimé, salué pour sa poésie et sa réflexion sur le tragique et le merveilleux

Son deuxième roman, Cent millions d’années et un jour est un roman d’aventure et d’introspection, où la quête scientifique se double d’une exploration des failles et des rêves humains, sur fond de nature grandiose et de réflexion philosophique sur le temps et la mémoire. Les lecteurs et lectrices suivent Stan. Stan, un paléontologue en fin de carrière, désireux de laisser une trace dans l’histoire scientifique. Nous sommes au mois d’août 1954.

Stan est convaincu qu’un squelette de dinosaure se trouve enfoui dans un glacier des Alpes, à la frontière franco-italienne. Stan organise alors une expédition audacieuse. Il s’entoure de deux collègues, des scientifiques comme lui, Umberto et Peter, ainsi que d’un vieux guide italien. L’ascension du glacier, ascension difficile et dangereuse, confronte l’équipe scientifique à la rudesse de la montagne, mais aussi à la solitude et aux propres fragilités, aux propres failles des différents personnages. Au fil de cette aventure, les souvenirs d’enfance de Stan, sa fascination pour les « dragons » et ses blessures intimes ressurgissent, ce qui donne à cette quête une dimension tout à la fois physique et existentielle.

Les lecteurs sont d’abord enrôlés dans une double recherche, recherche de sens et recherche d’absolu. La prospection interminable pour dénicher le fossile devient le symbole de la quête de sens de Stan : il veut prouver que sa vie a compté, que ses rêves d’enfant n’étaient pas vains. Cette obsession pour la découverte est aussi une lutte contre l’oubli et l’effacement, une manière de laisser une empreinte durable, à l’image des fossiles qui traversent les âges.

Ensuite, cette aventure souligne aussi tout à la fois l’ambition, la gloire et la fragilité humaine. En effet, le roman explore la frontière ténue entre ambition et folie. Stan est prêt à tout pour accomplir son rêve, et il expose donc ses compagnons et s’expose lui-même à de grands dangers, des dangers mortels. L’auteur met donc en lumière la fragilité humaine face à la nature et face au temps, et souligne la tentation de tout sacrifier pour une reconnaissance ou une révélation qui, peut-être, n’existe pas dans la réalité mais uniquement dans l’imaginaire.

À travers ce roman, Andrea met à l’honneur les rôles du temps et de la mémoire dans l’existence humaine. De fait, le temps est omniprésent, à la fois dans la temporalité géologique (cent millions d’années) et dans celle d’une vie humaine (un jour). Andrea met en parallèle l’échelle immense de la préhistoire et l’éphémère de l’existence humaine, ce qui souligne la petitesse de l’homme face à l’immensité du monde et du passé.

ANDREA valorise aussi l’importance de l’amitié et la solidarité. L’expédition devient aussi une aventure humaine : les liens entre Stan et ses compagnons sont mis à l’épreuve par la difficulté, la peur et la solitude. L’amitié devient un soutien essentiel, mais aussi un révélateur des failles de chacun.

La nature, la montagne et l’introspection constituent les cadres romanesques de l’intrigue. La montagne, majestueuse et dangereuse, incarne un personnage à part entière. Elle représente la puissance de la nature, la mémoire du monde, mais aussi un miroir des tourments intérieurs de Stan. L’isolement et la confrontation avec les éléments favorisent l’introspection et la résurgence des souvenirs et des regrets.

Enfin, le rêve, l’imaginaire et la désillusion scandent les moments inoubliables de l’œuvre. En effet, Le roman oscille entre réalisme et onirisme. La quête du « dragon » évoque l’enfance, le mythe, et la puissance de l’imaginaire. Mais elle se heurte aussi à la dure réalité, à la désillusion, et à la nécessité d’accepter ses propres limites. Si vous voulez en savoir davantage sur l’issue de cette expédition scientifique et mythique, je vous invite à partir à la découverte littéraire de cette œuvre originale à caractère universel…

2021

Des diables et des saints

Grand Prix RTL-Lire, Prix Ouest-France, Étonnants Voyageurs, Prix Livres & Musiques, Prix Relay des Voyageurs Lecteurs

Maintenant, je vous présente l’œuvre romanesque d’ANDREA qui m’a beaucoup touchée, Des Diables et des saints, publiée en 2021 et qui a obtenu de nombreux prix littéraires. Avec ce roman, nous retournons en enfance. Des Diables et des Saints (2021) confirme le talent de l’auteur pour dresser des portraits de personnages blessés, en quête de rédemption

Des diables et des saints raconte l’histoire de Joseph, un homme d’âge mûr, un pianiste que l’on croise jouant du Beethoven sur les pianos publics des gares et aéroports. Derrière ce talent solitaire se cache une attente : Pour qui Joseph joue-t-il dans ces lieux de partance ? Pour sa famille ? Pour Rose, une rencontre du passé qu’il espère retrouver ? Le roman remonte alors le fil de l’existence du personnage, jusqu’à ses seize ans, quand il connaît une expérience familiale tragique. Joseph est alors placé dans un pensionnat religieux des Pyrénées, Les Confins, un lieu austère et isolé où les enfants subissent des maltraitances et des humiliations sous la férule de l’abbé Sénac.

Là, Joseph se lie d’amitié avec d’autres pensionnaires et découvre la force de la solidarité, de l’imaginaire et de la musique. Il rencontre Rose, à qui il donne des cours de piano, ce qui marque un tournant dans sa vie d’adolescent. Ensemble, Joseph et Rose, des enfants, rêvent de liberté et d’un avenir meilleur, dans la dureté du quotidien.

Sur le plan romanesque, l’intrigue se joue entre passé et présent. Effectivement, le roman alterne les époques, entre le présent de Joseph, pianiste, peut-être errant, et son passé de pensionnaire. Cette construction narrative confère au récit une profondeur émotionnelle et un suspense subtil : le lecteur découvre peu à peu les raisons de la douleur et de l’attente du personnage principal. L’intrigue, centrée sur l’enfance et ses brisures et la reconstruction de l’être, est portée par une tension constante qui oscille entre la noirceur du pensionnat et la lumière que représentent l’amitié, l’amour et la musique.

D’un point de vue littéraire, Jean-Baptiste Andrea déploie une écriture empreinte de tendresse, même lorsqu’il aborde des moments marqués par la tragédie, la violence et la souffrance. Le roman se distingue par sa capacité à susciter l’émotion sans jamais sombrer dans le pathos, et insuffle la beauté dans les instants les plus sombres. L’humour, la dérision et la poésie côtoient la cruauté, ce qui offre une lecture à la fois douce et bouleversante. La musique, omniprésente, devient un langage de survie et de transmission, un fil conducteur entre les époques et les êtres.

Les personnages des Diables et des saints incarnent les puissances de la figure humaine. Ces personnages sont finement dessinés et profondément humains. Joseph, ce héros sensible et marqué par la tragédie familiale, incarne la résilience et la quête de sens. Autour de lui gravitent des figures marquantes : Rose, muse et amour de jeunesse ; Momo, Souzix, Danny, Edison, la Fouine, des compagnons d’infortune aux personnalités distinctes, tous porteurs de blessures et d’espoirs. Même les figures d’autorité, comme l’abbé Sénac, sont traitées avec nuance, révélant parfois des failles ou une humanité bien cachée. Les enfants, privés d’enfance, s’inventent des mondes parallèles, des sociétés secrètes, des rites et des rêves pour survivre à la brutalité du réel du pensionnat.  

Voici comment s’ouvre cette œuvre magnifique :

« Vous me connaissez. Un petit effort, souvenez-vous. Le vieux qui joue sur ces pianos publics, dans tous les lieux de passage. Le jeudi je fais Orly, le vendredi, Roissy. Le reste de la semaine, les gares, d’autres aéroports, n’importe où, tant qu’il y a des pianos. On me trouve souvent gare de Lyon, j’habite tout près. Vous m’avez entendu plus d’une fois. Un jour, enfin, vous m’approchez. Si vous êtes un homme, vous ne dites rien. Vous faites semblant de nouer votre lacet, pour m’écouter un peu sans en avoir l’air. Si vous êtes une femme, je sursaute. C’est que j’en attends une, justement. Ce n’est pas vous, ne vous vexez pas. Je l’attends depuis cinquante ans. Vous avez mille visages. Je me souviens de chacun, je n’oublie rien. Vous êtes cette fille aux matins blêmes rebondissant entre la ville et la banlieue. »

Des diables et des saints est un roman d’apprentissage et de résilience, traversé par la musique, l’amitié et l’amour. Il se distingue par sa poésie, sa construction narrative habile et des personnages inoubliables, ce qui offre un regard lumineux et profondément humain sur l’enfance meurtrie et la capacité à renaître malgré tout. Dans le roman, la musique — et Beethoven en particulier — symbolise la résistance, la dignité et la capacité à transformer la douleur en lumière. La musique devient le fil conducteur de la reconstruction de Joseph et le signe que, même dans la nuit, l’art offre une forme de salut et de fraternité. Je m’arrête là et vous laisse partir à la découverte de cette œuvre remarquable. Cela nous conduit à la consécration du prix Goncourt, Veiller sur elle.

 

Le prix Goncourt 2023

 

2023

Veiller sur elle

Prix Goncourt, Prix du roman Fnac, Grand prix des lectrices d’Elle

Que nous raconte cette belle histoire intitulée Veiller sur elle ? Cette histoire retrace la vie de Michel Angelo dit « Mimo » Vitaliani, né pauvre dans l’Italie du début du XXesiècle. Atteint d’achondroplasie et confié dès l’enfance à un oncle sculpteur tyrannique et sans talent, Mimo Vitaliani nous raconte sa vie. Dans le village italien de Pietra d’Alba, Mimo fait la connaissance de la jeune Viola Orsini, fille unique d’une famille aristocratique. Viola est brillante, indépendante et avide de liberté, dans une société patriarcale. La relation entre Viola et Mimo, faite d’amitié profonde, d’admiration et d’un amour platonique, se construit sur plusieurs décennies, alors que l’Italie traverse les bouleversements de la montée du fascisme, des guerres et des mutations sociales. Mimo, est doté d’un génie artistique et s’élève peu à peu au rang de sculpteur reconnu, tandis que, parallèlement, Viola lutte pour s’émanciper des carcans imposés aux femmes de son époque. Leur lien, indéfectible mais toujours empêché, bat au cœur de ce roman-fresque où s’entrelacent l’art, la liberté et la condition féminine.

Pour composer cette fresque, ANDREA applique une écriture très visuelle et un style très sensible. De fait, Jean-Baptiste Andrea déploie une langue ample, colorée et rutilante, qui allie la simplicité à la profondeur. L’écriture est sensorielle, évocatrice, traversée par une grande tendresse pour ses personnages et par une attention constante à la beauté, à la lumière, à la matière, le marbre, la pierre et la chair. Le roman est rythmé par des ellipses, des retours en arrière et une narration à la première personne qui confère une dimension introspective et intime au récit : c’est MIMO qui raconte son existence aux lecteurs et lectrices.

On découvre alors toutes les particularités d’une intrigue magistrale. La fresque prend un caractère historique qui couvre près d’un siècle, depuis l’entre-deux-guerres jusqu’aux années 1980.

Les lecteurs et lectrices sont happés par la relation centrale entre deux êtres, Mimo et VIOLA que tout oppose socialement, mais que l’art et l’intelligence rapprochent.

Certes, l’Intrigue est marquée par les aléas de l’Histoire, fascisme, guerre, mutations sociales mais aussi par la quête artistique et existentielle de Mimo.

On apprécie la place centrale qu’occupent la sculpture, la création artistique, la beauté et les rapports à la matière. On est interpelé par la Dimension féministe, avant-gardiste, portée par le personnage de Viola, qui refuse les rôles assignés aux femmes et incarne l’émancipation.

Le Contexte historique joue un rôle important, ce qui est reproché par une certaine critique littéraire à Andréa. Le roman s’inscrit dans l’Italie du XXe siècle, de la Première Guerre mondiale à la fin des années 1980. Il explore la montée du fascisme, la condition des femmes, la fracture entre classes sociales, les bouleversements politiques et culturels, et en même temps, le récit s’ancre dans le monde de l’art et de la sculpture.

La Narration captive les lecteurs et lectrices. En effet, La narration alterne entre le présent de Mimo, vieil homme retiré dans un monastère pour « veiller sur elle », une statue mystérieuse et bouleversante, et le récit de sa vie, livré comme un long retour sur soi. Cette structure donne au roman une dimension méditative et mélancolique, et ménage le suspense autour du destin des personnages et de la mystérieuse statue.

Si l’on fait un focus sur les Personnages. Voilà comment je me propose de vous les présenter, sans tout vous dévoiler !

Mimo Vitaliani est un Héros atypique, pauvre, petit de taille, mais doté d’un immense talent de sculpteur. Il incarne la résilience, la quête de la beauté et la lutte pour s’affranchir du déterminisme social.

Viola Orsini est la Fille d’aristocrates, elle est brillante, indépendante, féministe avant l’heure. Elle refuse la place assignée aux femmes et nourrit des rêves de savoir, de liberté, d’aviation.

Les Personnages secondaires sont l’Oncle Alberto, le sculpteur tyrannique, mais pas seulement ; la famille Orsini, figures du monde, de l’art, du religieux, et de la politique ; la mère de Mimo représente celle qui croit en son fils et ses talents…

Le Village de Pietra d’Alba plante cadre principal de l’enfance et de la formation de Mimo. On se promène également dans le Palais génois des Orsini. On découvre les Grandes villes italiennes comme Florence, Rome ou Palerme que Mimo traverse au fil de l’avancée de son destin.

Le Monastère où Mimo finit sa vie, pour veiller sur sa statue, symbolise le recueillement et l’amour de l’art.

La narration de Veiller sur elle adopte une perspective hypersensible principalement possible grâce à l’utilisation d’une focalisation interne et d’une écriture qui privilégie la subjectivité, la perception et l’émotion du personnage principal. Le récit à la première personne permet au lecteur d’entrer dans l’intériorité de Mimo, de ressentir ses doutes, ses émerveillements et ses blessures, et d’appréhender le monde à travers sa sensibilité propre.

Cette orientation narrative, ancrée dans la subjectivité, favorise l’émergence d’images, de métaphores et de descriptions sensorielles qui donnent à l’ensemble du roman une tonalité intime. Les choix de mots, le rythme des phrases, l’attention portée à la lumière, à la matière et aux sensations, participent à créer une atmosphère où la beauté et les émois priment sur la simple restitution des faits.

La narration s’attache ainsi à traduire les perceptions, les pensées et les élans du cœur de Mimo, ce qui renforce l’immersion et l’identification du lecteur à ce personnage d’exception. Cette subjectivité, rendue par une langue travaillée et imagée, construit la dimension poétique et sensible du roman.

Veiller sur elle est un tableau romanesque volumineux et brillant, portée par une écriture lyrique, une narration subtile, des personnages inoubliables et une réflexion profonde sur l’art, la liberté, le féminin et la résistance à l’oppression historique et sociale. Un roman inoubliable !

Conclusion

Aujourd’hui, l’œuvre littéraire de Jean-Baptiste Andrea s’impose comme l’une des plus marquantes du roman français contemporain, tant par la force de ses thèmes que par la maîtrise de son écriture. D’un roman à l’autre, Andrea construit des histoires de vie sensibles et puissantes, traversées par des questions universelles : la quête de soi, la différence, la résilience face à l’adversité, la puissance de l’imaginaire, l’art comme voie de salut, et la lutte pour la liberté individuelle, notamment féminine.

Ses romans se distinguent donc par leur ampleur romanesque, leur capacité à embrasser l’intime et le collectif, l’histoire individuelle et les soubresauts du siècle. Andrea excelle à explorer les marges et  il donne voix aux enfants différents, aux orphelins, aux artistes, à ceux que la société tient à distance. Chez lui, l’enfance blessée, l’amitié, l’amour platonique ou contrarié, l’épreuve du deuil ou de la solitude deviennent des moteurs de dépassement et d’émancipation.

Pour rendre, traduire, restituer ces forces vitales, ces valeurs, Andrea déploie une écriture à la fois poétique, lumineuse et d’une grande fluidité, qui allie simplicité et profondeur. Son style, sensible et évocateur, s’appuie sur une narration immersive, des descriptions sensorielles et une construction subtile, qui alterne les époques et les points de vue pour mieux sonder l’âme des personnages L’art, la musique, la sculpture, la nature ou la montagne deviennent sous sa plume des personnages à part entière, des miroirs de l’intériorité.

Enfin, Jean-Baptiste Andrea n’hésite pas à inscrire ses récits dans des contextes historiques forts : l’Italie du fascisme, la France des années 1960, la rudesse des pensionnats ou l’âpreté des montagnes et transmet par ses histoires une réflexion du lectorat à portée universelle et intemporelle. Conjugue la tradition du grand roman populaire et la finesse psychologique, ANDREA offre à chacun et chacune une expérience à la fois bouleversante, lumineuse et inoubliable.

Son œuvre, couronnée par le Goncourt, s’impose comme un hymne à la dignité, à la beauté, à la résistance intime : une littérature qui veille sur chacun de ses personnages comme sur ses lectrices et lecteurs, et qui invite à croire, malgré tout, en la force de la lumière.

Date de dernière mise à jour : 15/06/2025