Diderot Critique d’art

Conférence dédiée à un sujet passionnant : la critique d’art par un philosophe des Lumières.

Comment Diderot a-t-il composé ses Salons ? Pour répondre à cette question, revenons au XVIIIe siècle.

Organisé tous les deux ans par l'Académie Royale de Peinture et de Sculpture, au sein du merveilleux Salon Carré du Louvre, l'évènement consiste à accueillir l'exposition d'un ensemble de peintures, de gravures et de sculptures des élèves de l'Académie. Devenu à partir du XVIIIe siècle un événement public majeur, depuis sa refondation en 1737, le Salon est devenu un véritable stimuli de publications évoquant les œuvres qui sont présentées.

C’est à partir de 1759, que Diderot participe, à la demande de son ami Friedrich Melchior Grimm, à la publication de chroniques présentant les œuvres. Ces écrits, rédigés à l'occasion des différents Salons offrent un écho des réflexions singulières de Diderot sur l'art, mais elles s’inscrivent aussi dans une époque où la peinture d'Histoire connaît mutation : la hiérarchie des genres – telle qu'imaginée par André Félibien – se défait progressivement. Cette crise est amorcée par les scènes galantes de Watteau au début du XVIIIe siècle, mais également par la grande renommée des peintres de scènes de genres et de pastorales, comme Jean Siméon Chardin et François Boucher.

L'Académie Royale, cherche désespérément un « retour à l'Antique » et au « grand goût », celui de la peinture d'histoire et semble alors fonder ses espoirs dans les tableaux présentés par Fragonard. Diderot, par ses critique, restitue tout à la fois les inquiétudes de son temps et met en place les innovations picturales majeures dans sa critique d'art.

Pour bien cerner ce que sont les Salons de Diderot, dans une première partie, j’aborderai les implications de Diderot dans la critique d’art, en montrant en quoi l’homme de lettres s’engage dans une nouvelle expérience entre philosophie et dramaturgie.

Dans une deuxième partie, j’expliquerai comment Diderot passe du langage pictural au langage littéraire.

Enfin, et dans une troisième partie, je vous présenterai certaines œuvres picturales évoquées par Diderot. 

  1. PREMIÈRE PARTIE Les implications de Diderot dans la critique d’art, entre philosophie et dramaturgie

Dès l'ouverture du salon, la foule se presse. Ce que Diderot apprécie essentiellement dans ces expositions qui, je le rappelle, sont organisées tous les deux ans par l'Académie Royale de peinture, ce qu'il apprécie c'est la cohue, le brouhaha, le mélange des publics. Soulignons que le jour de l'ouverture du salon se fait à la Saint-Louis, fête du patron du roi.

Diderot se montre très sensible à la divergence des avis, mais également à la diversité des styles artistiques qu'il observe et admire. En 1763 par exemple, Diderot écrit que « les gens du monde jettent un regard dédaigneux et distrait sur les grandes compositions ; ils ne sont intéressés que par les portraits dont ils connaissent les originaux. Ils se plantent là pour commenter les ressemblances, ils ne se soucient que de leur propre reflet » ; l’art serait alors une affaire de gens du monde qui emploient les artistes pour fixer leur image ; au contraire de ce qui se passe et de ce qu’il voit, Diderot passe vite devant les commandes de portraits et ce sont essentiellement les grandes compositions qui fixent toute son attention. Diderot se passionne pour les œuvres ambitieuses qui racontent, par l'image, une scène mythologique, une scène biblique ou une scène historique. Diderot est intéressé par un art soucieux d'enjeux moraux, soucieux d’enjeux sociaux, un art qui parle à la collectivité de son passé, un art qui parle à la collectivité de son avenir.

Diderot apprécie grandement l’initiative de l’académie royale d’avoir créé ces salons pour aider à l’affirmation et à la diffusion d’une école d’art française capable de rivaliser avec l’école italienne ou l’école flamande…

Comment Diderot passe-t-il du langage pictural perçu à travers le sens visuel, au langage littéraire pour nous restituer ses critiques artistique ?

II) DEUXIEME PARTIE :  DU LANGAGE PICTURAL AU LANGAGE LITTÉRAIRE

Véritables comptes rendus des expositions de l’Académie de Peinture et de Sculpture, les Salons affrontent d’emblée la difficulté de transcrire les toiles par écrit, de traduire la peinture en écriture. Pour le chercheur Starobinski, cette difficulté est compensée par diverses stratégies discursives, voilà ce qu’il en écrit : « Pour qui sait goûter les stratégies du discours, les Salons sont d’une lecture passionnante : entre la soumission apparente au désir de l’ami éditeur, le franc-parler imprudent et vif, la visée implicite d’un public lointain, les conversations écoutées, rapportées, provoquées. Diderot exploite toutes les modalités de la communication verbale, comme pour compenser la difficulté fondamentale du passage de la peinture à la parole ».  Starobinski évoque ainsi les enjeux fondamentaux de la Correspondance littéraire, chargée de tenir au courant les cours étrangères des événements artistiques français, en même temps que la principale difficulté qui se pose aux Salons à savoir, comment transcrire une exposition à laquelle les lecteurs n’ont pas participé ? Comment donner à voir des toiles par l’entremise du verbe ?

Si à l’époque de Diderot, le monde de l’édition est déjà capable et donc à même d’associer des vignettes et ou des images aux textes, il n’en est pas encore question pour ce qui touche la revue de la Correspondance littéraire. Pour rendre compte des expositions du Salon carré du Louvre, Diderot passe donc par la description des toiles qu’il y contemple. En d’autres termes, cela signifie que l’écrivain n’a à sa disposition que le langage, l’expression écrite pour donner à voir une multitude de tableaux. Au sein de son ouvrage des Salons, apparaissent de nombreux parallèles entre ces deux arts, la peinture et l’écriture, deux arts que Diderot aime comparer : « La couleur est dans un tableau ce que le style est dans un morceau de littérature » (Diderot, 1876 : 140). Cette phrase établit un parallèle frappant entre deux pratiques artistiques très différentes a priori, mais que Diderot, « littérateur », certes « homme de lettre », cherche à restituer en devenant « critique d’art ».

III) Troisième partie QUELQUES EXEMPLES

Mon choix a été très difficile…

1.      Salons de 1759 (page 42)Chardin nature morte  «  Il y a de Chardin Un retour de chasse Des pièces de gibier, Un jeune élève qui dessine vu par le dos, Une fille qui fait de la tapisserie, deux petits tableaux de fruits : c'est toujours la nature et la vérité vous prendriez les bouteilles par le goulot si vous aviez soif ; les pêches et les raisins éveillent l'appétit et appellent la main ; j'aimerais bien mieux que ces derniers fussent dans votre cabinet que chez ce vilain Trublet à qui ils appartiennent ;ce Chardin est homme d'esprit il entend la théorie de son art ; il peint d'une manière qui lui est propre et ses tableaux seront un jour recherchés ; il a le faire aussi large dans ses petites figures que si elles avaient des coudées. La largeur du faire est indépendante de l'étendue de la toile et de la grandeur des objets, associant une activité nécessaire à une aventure plaisante ». Associer spectateurs et peinture

2.      Salons de 1761 (Page 57/58) CHALLE Cléopâtre « Des trois  tableaux de Challe la Cléopâtre expirante le Socrate sur le point de boire la ciguë et le guerrier qui raconte ses aventures, on n’en remarque aucun et l'on a tort ! Comment est-il arrivé à Challe de faire une belle chose ? la Cléopâtre se meurt et le serpent est encore sur son sein ; que fait là ce serpent ? mais s’il eût été bien loin, comme le choix du moment l'exigeait, qui est-ce qui aurait reconnu Cléopâtre ? c'est que le choix du moment est vicieux ; il fallait prendre celui où cette femme altière, déterminée à tromper l'orgueil Romain qui la destinait à orner un triomphe se découvre la gorge, sourit au serpent, mais de ce souris dédaigneux qui retombe sur le vainqueur auquel elle va échapper et se fait mordre le sein ;  peut-être l'expression eût-elle été plus terrible et plus forte si elle eût souri au serpent attaché à son sein ;  celle de la douleur serait misérable celle du désespoir commune ;  le choix du moment où elle expire ne donne point une Cléopâtre ; il ne donne qu'une femme expirante de la morsure d'un serpent ; ce n'est plus l'histoire de la reine d'Alexandrie c'est un accident de la vie ». Rapprocher une reine du commun des mortels.

Date de dernière mise à jour : 14/09/2025